Au pays de Montignac

Hubert de Montignac avait rendu ses devoirs à sa mère, la comtesse qui résidait dans la demeure familiale à Parnans-sous-Montignac. Le château du Bosquet, construit au XVIIe siècle par des ancêtres, las de l'austère château médiévale, était une  de ces résidences de campagne où l'aristocratie de cour revenue sur ses terres goûtait la douceur de vivre de l'Ancien régime .

La comtesse de Montignac "Madame mère" comme l'appelait la maisonnée y vivait entouré de ses chiens et de ses rosiers, accueillant ses enfants et petits-enfants de passage.  Hubert était chez lui ici, non seulement parce qu'il possédait en indivision avec ses trois soeurs, un quart du logis, mais surtout parce qu'il était l'aîné, le chef de nom et d'armes d'une famille millénaire, le 41e comte du lieu depuis l'an mille. L'octogénaire s'inquiétait, à cinquante-neuf ans passé, son fils n'était pas marié, et n'avait pas de descendance. Le nom s'éteindrait avec lui.

Dans ce petit village de 5 600 habitants, point de simple "Monsieur" ou de "Mon commandant", il était "Monsieur le Comte", comme son père avant, pour le simple citoyen aussi bien que pour le maire ou le curé. Hubert aimait ce terroir. Il en connaissait chaque forêt, chaque fontaine, chaque colline. Il était le sien, ses ancêtres y régnait depuis mille an.

Hubert  poussa son périple de 4 km jusqu'à la commune voisine de Montignac, petit village de 259 habitants, qui avait été supplanté par sa voisine, devenue au XVIIe siècle, le siège du comté de Montignac y accueillant la résidence permanente de ses seigneurs. Hubert avait une affection particulière pour Montignac, le petit village délaissé par l'histoire était le fief originel de la famille.

Au détour d'un sentier une ruine majestueuse s'élevait encore, surplombant la vallée et le village en contrebas. Au début du XIe siècle, un dénommé Adalbert y avait fait élever une motte surmontée d'un donjon de bois sous la protection duquel s'était placé les habitants de la région ravagée par les barbares syldaves et les seigneurs brigands. C'était le premier Montignac. Redoutables guerriers, les Montignac étaient devenus des seigneurs d'importance, qualifié de "comes", c'est à dire comte dans un charte datée de 1123 portant le sceau du roi  Othon VII. Le donjon de bois avait laissé place à un donjon de pierre, puis à une forteresse. Perdu dans les ronces, peuplé de vipère, les éléments de l'architecture militaire du Moyen-âge se dévoilait à l'oeil averti. On sentait le château de Montignac né pour la guerre, prêt à vaincre un siège. Le château n'était jamais sortit de la famille, de sorte que lorsqu'il venait en pays de Montignac c'est ici qu'Hubert résidait. A sa mère qui aurait aimé le voir dormir au Bosquet, il répondait sur un ton crâneur qui ne l'avait pas quitté depuis l'enfance : "un Montignac loge à Montignac". A la mort de son père, alors que l'on songeait à vendre la prestigieuse ruine à un couple de Zollernois fortuné, il avait racheté les parts à ses soeurs, si bien qu'il était ici chez lui.


Le dernier Montignac à vivre en ces lieux avaient été le grand-père d'Hubert, le comte Enguerrand, homme haut en couleur, ancien légionnaire, qui avait dit-on un Modiglianys tatoué dans le dos. La vente de l'oeuvre avait permis au vieillard de débuter à entreprendre la restauration de l'édifice que poursuivait aujourd'hui son petit-fils. En effet, le château, subissant l'oeuvre des temps, avait résisté  aux guerres médiévales, aux affres des révolution, les forces jallanistes eurent raison de lui. Les souterrains du château servant de dépôts d'armes et de cache aux résistants du maquis de Montignac sous la conduite "du capitaine François",  le comte François de Montignac, le père d'Hubert. Les milices du régime mirent le feu à l'édifice qui resta à l'état de délabrement.

Durant sa restauration, le vieil homme n'avait pas cru utile de faire venir l'eau courante, ni même le téléphone. C'est dans ce mode de vie spartiate que vivait Hubert, occupant la grande salle du donjon, l'étage noble. Une journée après son arrivée, les gendarmes vinrent au château. Le capitaine de frégate de Montignac était attendu à la gendarmerie.

Le chef de la brigade de Parnans-sous-Montignac s'était mis au garde à vous pour accueillir l'officier qui était aussi son seigneur au regard d'un droit féodal qui n'avait plus court depuis plus de deux-siècles. Dans la petite gendarmerie on se souvenait des excentricités du grand-père, qui, à la fin des années 60, arguant de son droit de "haute, moyenne et basse justice" enfermait braconniers et pilleur de château dans ses oubliettes. Aujourd'hui il était nullement question d'infraction à la loi. Le chef de brigade avait laissé le commandant s'installé dans son bureau. Au bout du fil se trouvait le directeur de cabinet du ministre de l'Intérieur. Montignac n'osa admettre ce qu'il avait déjà compris.

Il se disait dans la presse locale que le gouvernement souhaitait entreprendre une reconstruction du clan de Mézénas, sous une forme encadrée par le pouvoir central et néanmoins soucieuse du principe de libre administration des clans. Ainsi un préfet devait  être prochainement nommé. Le choix de Micropolia s'était porté sur Hubert. Homme de la région, d'une famille solidement implantée et respectée, de tradition militaire, monarchiste, résistante au tarquinisme et fidèle à Micropolia. Certainement ne savait -on pas dans les bureaux ministériels qu'il s'agissait d'une tradition familiale. Dans les guerres féodales, plutôt que celui des ducs de Mézénas, les seigneurs de Montignac avaient toujours pris le parti des rois de Francovie, leurs suzerains immédiats.  

Hubert s'était vu proposé un poste prestigieux , celui de préfet de Mézénas, et confiée une mission difficile : la refondation du clan mézène sous une forme respectueuse des libertés claniques et des prérogatives monarchiques. Le territoire mézène était à revitaliser. Hubert demanda un délai de trois jours de réflexion. Le troisième jours il accepta.  La nouvelle se répandit dans les journaux locaux.

A la lecture des actualités du jour, Hubert, qui résidait au Vieux-Château, où il avait installé un poste de TSF, espérait beaucoup de l'approbation de la nouvelle constitution provinciale par les Sages. Il avait après tout de même la paternité de certains articles.

C'est à Parnans-sous-Montignac, peu après 14 h, alors qu'il rendait visite à sa mère octogénaire, dans sa maison du Bosquet, château campagnard du XVIIe siècle, construit par ses  aïeux, qu'Hubert apprit avec surprise les tendances de vote. Dans sa chambre, celle là même où il avait préparé navale, il prépara, assis à son bureau face à la cour d'honneur, le discours télévisé qu'il allait prononcé depuis Bourg-Mézénas ce soir, vers 20 h. L'un pour la victoire, le second pour la défaite, par refus de la présomption. Un peu avant dix-huit heures, il rejoignit son local de campagne, d'abord pour une discussion avec son cabinet, et pour les derniers ajustement.

Conformément à la tradition décorative que le Roi Gontran avait décrétée suite à son accession au trône , une petite boîte contenant non pas une étoile, mais un bâton de Préfet arriva à la demeure de Montignac , accompagné de la lettre de nomination signé par le  Roi en personne.