Base militaire avaro-livadienne de Largeville.

Une flotte se présenta au large de Largeville ; elle venait évacuer la 3ème brigade et la 2ème compagnie des Gardes Livadiennes.

Les hélicoptères de l'aviation légère s'envolèrent pour se poser un à un sur le pont du NML Falkenheim. Plusieurs autres navires de transport embarquèrent les hommes, les blindés, les pièces d'artillerie, l'armement léger et lourd des soldats, les munitions et le carburant restant.

L'opération prenait du temps. L'état-major avait déjà quitté le base et c'est le lieutenant-colonel Salbeii qui était chargé de l'opération. Au delà de l'embarquement, il avait plusieurs missions importantes à mener. Il avait fallu remettre les quelques prisonniers krasslandais aux autorités banganaises, détruire certains documents compromettants, accueillir plusieurs dizaines de ressortissants livadiens qui cherchaient à quitter le pays, et puis surtout, il fallait écouler les munitions qu'on ne pouvait évacuer.

Les militaires livadiens avaient des proximités avec l'élément kalésien de l'armée banganaise. C'était lui qui avait stabilisé le pays, et c'était lui, qui après avoir donné de son sang, serait le perdant du putsch banganais. Hélas, Livadia ne pouvait pas faire grand chose pour eux. Du moins officiellement. E; réalité, on avait généreusement "prêté" plusieurs tonnes d'armes et de munitions aux brigades kalésiennes. C'est que les Livadiens n'entendaient pas en faire le don au gouvernement banganais.

Evidemment, on s'était montré discret, il ne s'agissait pas de créer de remous, il ne s'agissait pas de tenir les Livadiens responsables de la guerilla que ne manquerait pas de mener les indépendantistes kalésiens.

Salbeii n'avait donc pas de temps à perdre. Hélas, il se produisit un fâcheux accident qui écoeura définitivement le lieutenant-colonel sur ce royaume bananier.

Au abords de la base, une foule s'était rassemblée. Tapageuse et bruyante, elle semblait vouloir pénétrer dans la base gardée par un mince cordon de soldats. L'officier, alerté, s'approcha.  Il remarqua tout de suite qu'il s'agissait de Kalésiens. Ils craignaient la Terreur Rouge et voulaient partir avec les Livadiens. Il y avait là des soldats, quelques officiers, mais aussi beaucoup de femmes et d'enfants, certains très jeunes, dans les bras de leur mère.

Salbeii dut tirer en l'air avec son revolver pour calmer la foule vociférante. Rapidement, un relatif silence se fit, et un Kalésien aux épaulettes ternies par le soleil s'avança. Il ouvrit sa vareuse et sur sa poitrine brillait la Médaille de la Reconnaissance livadienne.

- Nous avons lutté avec vous. Nous avons libéré vos hommes. Nous avons tout donné, y compris notre sang, au pays qui nous a rejetés. Le nouveau souverain nous a trahi, il nous a vendu pour un trône. Aujourd'hui, la Constitution a été violée, les manipulations grossières électorales ont été légions, les Rouges veulent nos terres que nous travaillons depuis plusieurs générations ! Nous demandons l'asile politique en votre pays, je vous le demande d'officier à officier, de frères d'armes à frère d'armes !

Le Livadien se prit la tête entre les mains. Le brave en face de lui n'avait que trop raison. En son for intérieur, il n'avait que du mépris pour les gouvernants de ce pays. L'appareil étatique, corrompu à tous les échelons, permettait à une caste détenant tous les pouvoirs de s'y maintenir indéfiniment par divers moyens : prévarication sur le bien public, corruption, détournement des revenus économiques par appropriation ; maintien des populations dans la terreur grâce aux diverses milices ; élections truquées assurant aux caciques leur élection automatiquement. Au sommet de cet édifice vermoulu et pourri, il y avait, sous un nom ou un autre, les Delfrous, une mafia plus qu'une dynastie, dépourvu d'honneur nobiliaire et de dignité, prête à toutes les circonvolutions pour s'assurer un trône. Bref, une ploutocratie qui rêvait d'imiter les grandes dynasties du Nord. Le dernier rejeton de cette marmaille grouillante et pléthorique en était une vivante illustration : c'était un enfant ! Un enfant qui jouait ! Un roitelet d'opérette qui aurait baissé les yeux devant le plus petit seigneur zollernois ou édoranais, mais qui rêvait malgré tout d'avoir des pages. Un gosse qui bouderait quand il saurait ce que le Grand Roi d'Avaricum penserait de lui. Un futur évincé, à coup sûr, dont l'Histoire ne se souviendrait pas tant le dernier chiard delfrousien, était incapable de se montrer digne du trône, fut-il celui où il chiait.

Le Livadien demanda des instructions pour sauver ces braves des médiocres.

La réponse vint rapidement. Le gouvernement livadien accordait l'asile politique aux soldats des armées banganaises ayant combattu pour Octave et cette protection s'étendait à leurs familles. Aussitôt, on ouvrit les grilles de la base et plusieurs centaines de Kalésiens s'y engouffrèrent. Il découvrirent une base quasiment désertée. Il y régnait un silence presque effrayant, on avait le sentiment de voir un hall de gare habituellement bruyant, subitement silencieux. Au loin, parvenait des bruits, celui du secteur avarois encore animé mais aussi le lent ronronnement des navires livadiens qui mettaient leurs machines en marche. Les exilés passèrent devant le grand mât ou des soldats repliaient avec une dévotion quasi-religieuse le drapeau du Grand Royaume et celui de leur unité. Subitement, il y eut une gigantesque explosion. Les exilés commçèrent à paniquer mais leur escorte livadienne ne bougea pas. C'étaitles infrastructures de la base que l'on faisait sauter.

Quelques minutes plus tard, les exilés montèrent à bord et les navires livadiens prirent la mer, via le détroit de Binghal.

C'en était fini de la présence livadienne au Bangana. Il y avait eu de belles victoires et la gloire militaire, un trône de sauvé, de jolis profits dans les mines, mais l'ensemble avait malgré tout, dans la bouche du lieutenant-colonel un goût d'amertume. Que resterait-il de l'aventure livadienne dans ce pays ?